La médiation sociale et communautaire en questions
Qu’est-ce que la médiation sociale et communautaire et à quoi sert-elle ? Quelles en sont les valeurs et les pratiques ? Questions au cœur d’un projet européen auquel participent des chercheurs valaisans.
Par Karine Darbellay, adjointe scientifique ; Luis Bellaro, stagiaire dans le cadre du projet Grundtvig ; Jorge Pinho, professeur et responsable du projet Grundtvig, Haute école de travail social de la HES-SO Valais-Wallis
Financée par la Commission européenne, cette étude à laquelle participe une équipe de la Haute école de travail social du Valais (HETS) se déroule de septembre 2012 à septembre 2014. Plus précisément, elle s’insère dans le « Grundtvig-Programme d’éducation et de formation tout au long de la vie » soutenu, en Suisse, par la Fondation ch. pour la collaboration confédérale [1]. Coordonné par la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Coimbra (Portugal), le projet regroupe sept pays (Portugal, Suisse, Espagne, France, Italie, Allemagne et Angleterre) et 8 partenaires institutionnels, tels qu’universités, hautes écoles et associations privées. Il s’agit ainsi d’un contexte de travail pluridisciplinaire dans une perspective de recherche appliquée.
En phase avec les préoccupations et les lignes directrices de l’Union européenne, qui pose la médiation sociale et communautaire comme une réponse innovante aux problèmes et aux conflits sociaux, la recherche vise notamment à établir un état des lieux des connaissances et des pratiques de médiation, à identifier les besoins en formation et développer des réponses en conséquence. Les résultats finaux seront diffusés via la publication d’un manuel théorique et pratique de médiation sociale et communautaire et la création, à terme, d’un centre européen de médiation sociale et communautaire [2], sous la forme d’une plateforme électronique.
De la restauration des liens sociaux à la gestion des conflits
Pour comprendre les enjeux de la médiation sociale et communautaire en Suisse romande, nous avons défini notre objet à partir des définitions de Lemaire et Poitras (2004) [3]. Pour ces auteurs, la médiation sociale a pour but la restauration du lien social en convoquant deux axes : d’une part, la mobilisation des individus confrontés à l’exclusion dans la vie sociale et d’autre part, la transformation du milieu, en vue d’une meilleure participation des individus dans la société. La médiation communautaire, quant à elle, est davantage ciblée sur la résolution des conflits entre membres d’une communauté, sans intervention de l’Etat, de manière autonome, afin de favoriser un agir citoyen.
Afin de dessiner un profil des projets de médiation et d’engager une réflexion sur les spécificités de la médiation sociale et communautaire en Suisse romande, nous avons tout d’abord établi un état des lieux non exhaustif (mapping) recensant 69 types d‘activités [4] de médiation liés à 47 projets [5]. Nous avons relevé le statut de l’organisation, les champs investis, les publics-cibles, les profils de médiateurs ainsi que les valeurs affichées par l’organisation [6]. Dans un deuxième temps, nous avons classé les projets sur le modèle typologique de Michèle Guillaume-Hofnung (2012) et de Jean-François Six (2001). Ce modèle distingue la médiation visant à créer ou rénover des liens sociaux, « la médiation de différences » qui tendrait vers notre définition de la médiation sociale, de la médiation visant à prévenir et résoudre les conflits, « la médiation de différends », qui correspondrait aux critères définissant la médiation communautaire. Puis, afin d’affiner notre typologie, nous avons ajouté la dimension « relationnelle » qui se décline en quatre catégories : interindividuel, individu-institution [7], individu-public et intergroupe. Finalement, nous avons effectué 3 entretiens d’approfondissement dans le but de décrire les processus, enjeux et tensions inhérents à ce type de projet.
En parallèle, chaque participant à l’étude européenne a effectué un état des lieux semblable dans une région donnée de son pays dans le but de pouvoir identifier les différences et les points communs de la médiation sociale et communautaire dans des contextes nationaux marqués par des législations et des développements spécifiques de la médiation.
Un foisonnement d’activités de médiation
Sans surprise, nos données suisses mettent en exergue la diversité des projets et des activités de médiation autant du point de vue structurel et organisationnel (financement publics vs privés, statut associatif vs fondation) que de celui des profils des médiateurs (salariés vs bénévoles, formation labellisée ou non, à parcours professionnel extrêmement divers allant des juristes aux enseignants en passant par les travailleurs sociaux).
Quant aux buts annoncés, la grande majorité des projets traite de la gestion de conflits au niveau interindividuel (médiation familiale, du travail, scolaire, pénale, de la santé ou encore du sport). Une petite minorité de projets s’inscrit dans les deux axes (la gestion de conflits et la création ou la perpétuation de lien social) tant au niveau interindividuel qu’entre individus et institutions. Ici nous retrouvons des projets qui correspondent dans une certaine mesure aux valeurs de la médiation sociale et/ou communautaire, par exemple lorsqu’un tiers intervient entre migrants et société d’accueil ou auprès de personnes âgées pour penser leur environnement social. Enfin, une dernière série de projets, regroupés sous l’appellation « médiation culturelle », mettent en jeu des tiers établissant des liens entre œuvres, artistes et publics. Néanmoins, la question de leur inscription dans la catégorie « médiation sociale » reste posée.
Les entretiens d’approfondissement des 3 projets, choisis pour leurs activités traversant un nombre de champs conséquent, nous permettent déjà d’esquisser de nouvelles pistes de réflexion. En effet, d’un point de vue empirique, il semble particulièrement difficile de distinguer clairement des activités centrées sur la perpétuation et la création du lien social de la gestion des conflits, les valeurs et les buts étant intrinsèquement liés. La gestion de conflits par la médiation prend souvent sens dans les cas où un lien doit perdurer (pensons, par exemple, aux relations familiales ou professionnelles) ; réciproquement, les activités centrées sur le lien et la lutte contre l’exclusion abordent les conflits sous-jacents à ce genre de problématique. A cet égard, nous prévoyons d’investiguer plus en profondeur la médiation interculturelle, car les projets recensés dans ce champ semblent particulièrement pertinents pour comprendre dans quelle mesure cette distinction est empiriquement pertinente et comment elle s’implémente concrètement.
Entre labellisation, statut et étiquettes de champs
Nos premiers résultats montrent aussi que la labellisation « médiation sociale » ou « médiation communautaire » n’est de loin pas couramment utilisée pour qualifier/présenter les activités de médiation en Suisse romande. En effet, partant du point de vue adopté par les projets pour présenter leurs activités, nous pouvons conclure que la médiation sociale et communautaire occupe peu de place. La question plus épistémologique qui se pose ici est précisément celle du statut de la médiation sociale et communautaire par rapport aux champs « classiques » de la médiation. Pouvons-nous affirmer que la lutte contre l’exclusion ou la gestion de conflits communautaires est un champ en soi comme pourrait l’être la médiation familiale ou la médiation en entreprise ? Ou alors, peut-on poser l’hypothèse que la médiation sociale et communautaire transcende les champs, les englobe, prend forme comme catégorie générique de la médiation ? En d’autres termes, que toute médiation est de la médiation sociale au sens large ?
De plus, la question de la pertinence des étiquettes de champs (médiation familiale, interculturelle, scolaire) reste posée dans le sens où cette frontière peut être interrogée d’un point de vue empirique. Agir dans le contexte scolaire, est-ce suffisant pour définir la médiation scolaire ? Est-ce le contexte qui donne le nom à l’activité ou les objets sur lesquels portent les activités ? Ainsi, les médiateurs scolaires, pour reprendre notre exemple, se retrouvent souvent à gérer des situations familiales et/ou interculturelles. Cette imbrication des champs nous amène à pousser plus loin nos investigations sur les activités de médiation, à l’instar de Ben Mrad (2004), non pas pour questionner les étiquettes mais pour mieux comprendre les enjeux à l’œuvre dans chaque contexte, les logiques de médiation sous-jacentes (Bonafé-Schmitt, 1999) et de relever ce qui en fait la spécificité.
Ainsi, nous souhaitons poursuivre notre réflexion en cherchant d’une part à fournir une description plus fine des activités de médiation en Suisse romande et, d’autre part, en mettant en perspective la spécificité suisse dans le contexte européen. Ce dernier point sera par ailleurs développé dans un manuel publié dans les mois à venir.
[1] Voir ce lien internet.
[2] Advisory Bureau for Social and Community Mediation (ABSCM).
[3] Bibliographie sélective
- Ben Mrad, F. (2004). La médiation sociale : entre résolution des conflits et sécurisation urbaine. Revue française des affaires sociales, 3(3), 231-248.
- Bonafé-Schmitt, J.-P. (1999). La médiation sociale et pénale. In J.-P. Vouche, J.-P. Bonafé-Schmitt, J. Salzer, J. Dahan & M. Souquet (Eds.), Les médiations, la médiation (pp. 15-80). Toulouse : érès.
- Créteil. (2000). Médiation sociale. Nouveaux modes de résolution des conflits de la vie quotidienne, Paris-Créteil.
- Guillaume-Hofnung, M. (2012 (5e ed., 1995, 1e ed.)). La médiation. Paris : PUF.
- Guillaume-Hofnung, M. (2001). Médiation sociale. Nouveaux modes de résolution des conflits de la vie quotidienne. Paris-Créteil : DIV.
- Lemaire, E., & Poitras, J. (2004). La construction des rapports sociaux comme l’un des objectifs des dispositifs de médiation. Esprit critique, 06(03), 17-29.
[4] Un projet peut recenser plusieurs types d’activité (d’interventions dans des champs divers), par exemple un projet recensé annonce des activités en médiation familiale, en entreprise et de voisinage.
[5] Nous avons retenu ces projets parce qu’ils étaient soit labellisés comme des projets de médiation soit parce qu’ils présentaient des activités mettant en jeu les valeurs de la médiation comme la présence d’un tiers indépendant, impartial et neutre notamment.
[6] Les informations sur les projets proviennent exclusivement des sites Internet excepté pour 3 projets pour lesquels nous avons effectué des entretiens d’approfondissement avec leurs responsables respectifs.
[7] De manière plus large, les entreprises sont comprises dans le terme « institutionnel ».