FemmesTische entre migrantes : la santé par les pairs
Des rencontres entre elles, en toute simplicité, dans leur langue maternelle, pour parler de promotion de la santé et d’éducation ou pour échanger des informations : c’est l’opération FemmesTische. Elle s’étend en Suisse romande.
Par Viviane Fenter, responsable de FemmesTische Suisse romande [2]
Le concept FemmesTische a été créé en 1996 par Steffi Wirth et Jean-Pierre Weiss, professionnels bâlois de la prévention et du conseil aux familles. Tous deux désiraient alors développer une approche sortant des sentiers battus. Un jeu de mots est à l’origine du nom FemmesTische, qui fait écho au StammTisch allemand, table autour de laquelle se réunissent les habitués d’un bistrot. D’abord accueillie avec un certain scepticisme, la formule a été testée dans un projet-pilote à Soleure, avec l’appui de Radix et de l’Office fédéral de la santé publique. Depuis quinze ans, elle a fait ses preuves dans 25 villes et s’étend maintenant en Suisse romande. En 2011, plus de mille rencontres ont été mises sur pied et ont permis de sensibiliser près de 7000 personnes. Cette offre participative de promotion de la santé et de prévention des dépendances doit beaucoup à l’implication de représentantes des communautés.
Un concept bas seuil simple
FemmesTische s’adresse à un public essentiellement féminin, même si les hommes sont également bienvenus. Son principe ? Proposer aux migrant·e·s des réunions pour discuter de thèmes liés à la santé et à l’éducation, en petits groupes et dans un lieu de proximité. L’invitation est lancée par une des participantes qui accepte de jouer le rôle d’hôtesse. Six à douze voisines ou connaissances intéressées se réunissent, soit chez l’hôtesse, soit dans un lieu communautaire du quartier.
Les discussions sont menées par l’animatrice formée à cet effet dans la langue des participantes ou la langue locale. L’animatrice n’est pas une experte du thème abordé, ni une conseillère, mais elle est responsable du cadre de la réunion. Elle introduit le thème avec un photolangage ou un court DVD. Les participantes échangent leurs points de vue, leurs expériences et questionnements, partagent des pistes et des idées. En fin de rencontre, une partie est réservée aux discussions libres pendant que l’hôtesse offre quelque chose à boire.
La liste des thèmes traités par FemmesTische au niveau suisse est longue. Les rencontres abordent l’alimentation et le mouvement, la connaissance du système scolaire, l’adolescence, la gestion du budget familial ou encore le développement des jeunes enfants. Bien informée sur le réseau institutionnel, l’animatrice transmet aux participantes, si besoin, les coordonnées des services et organisations locales auxquelles elles peuvent s’adresser. De par son parcours d’intégration et sa connaissance de la société locale, elle fait souvent figure de modèle pour les femmes de sa communauté.
La langue maternelle, la proximité et la famille
Plus de trois quarts des rencontres se déroulent dans la langue des participantes, ce qui permet aux femmes ne parlant pas encore la langue locale de participer aux échanges. Certaines femmes ne viennent qu’à une seule rencontre, d’autres (un tiers d’entre elles) participent à plusieurs réunions. Comme la composition d’un groupe change généralement d’une fois à l’autre, cela permet à chacune d’élargir son réseau social.
Les évaluations indiquent que les femmes apprécient en particulier l’échange personnel, la petite taille du groupe et le fait que la rencontre se tient près de chez elles. De nombreuses participantes disent avoir retenu les nouvelles idées au cours des échanges, réfléchi au thème abordé par la suite et essayé de nouvelles façons de « faire » en famille. Les effets positifs les plus fréquemment cités :
- Possibilité de développer son réseau social.
- Prendre mieux conscience de ses compétences.
- Sortir de chez soi.
- Avoir plus confiance en soi.
- Mieux connaître le système social et scolaire local.
- Savoir où trouver de l’information et du soutien si nécessaire.
Par ces rencontres de proximité, les femmes ont un meilleur ancrage et plus de repères pour faire face aux défis de la vie quotidienne. Elles savent mieux comment soutenir leurs enfants et, plus globalement, contribuent activement à l’intégration de toute la famille.
Animatrice, un rôle exigeant
La formation des animatrices et le soutien qui leur est donné sont déterminants pour la réussite du projet. Elles sont amenées à développer des compétences de communication et apprennent à gérer les situations délicates, par exemple une participante qui monopolise la parole ou une autre qui se met en retrait. Elles doivent savoir rester dans le rôle de modératrice sans glisser dans celui de conseillère ou d’experte… Chaque rencontre est suivie d’une séance d’intervision avec la personne responsable du centre. Ainsi, le travail de prise de contacts de l’hôtesse avec les participantes, la préparation et la rencontre elle-même, puis l’évaluation et la supervision demandent un investissement important. Modestement dédommagées de quelque 120 francs par rencontre, les animatrices considèrent leur engagement comme du bénévolat dédommagé et non pas comme un emploi. Il arrive souvent que, renforcées par la responsabilité assumée, elles relèvent de nouveaux défis, par exemple débuter une activité à temps partiel, changer d’emploi, suivre une formation continue, devenir interprète communautaire, etc.
Relais et financement par les acteurs locaux
L’implantation régionale de FemmesTische se fait en général par des institutions déjà actives dans le domaine de la santé, de la prévention des dépendances ou de la formation des parents. Il s’agit par exemple de Caritas dans le canton d’Argovie, du Département de l’éducation à Bâle-Ville, de la Croix-Rouge à Soleure. Il existe à ce jour 25 centres en Suisse, dont trois en Suisse romande :
- A Bienne (depuis 2005), le centre est porté par Espace de formations-Formation d’espaces (effe) et soutenu par le Service de l’intégration de la Ville.
- A Genève (depuis mai 2011), il est porté par l’Association de la Promotion des Droits Humains avec le soutien de la Ville et du Canton.
- A Yverdon-les-Bains (depuis novembre 2011), il est sous la responsabilité de la déléguée à l’intégration et reçoit le soutien du Service des affaires sociales et, notamment, celui du Bureau cantonal de l’intégration BCI.
Au niveau du financement, le développement de FemmesTische ne peut se faire sans la volonté d’acteurs locaux qui vont rechercher des moyens pour plusieurs années, car un tel projet développe réellement son efficacité s’il s’étend sur la durée. Trouver des fonds est, pour certains centres, un casse-tête permanent. Les responsables s’adressent aux organismes cantonaux de promotion de la santé et de l’intégration, remplissent moult formulaires et rédigent de nombreuses demandes, sollicitent l’appui de programmes officiels… Ces démarches longues et fastidieuses n’aboutissent pas forcément. Il est arrivé qu’une responsable assure momentanément le suivi d’un projet de façon bénévole, situation qui doit rester exceptionnelle.
Réseaux, encore et toujours
Le bon démarrage d’un centre FemmesTische repose d’abord sur le réseau de la personne responsable au sein des communautés migrantes. C’est le plus souvent grâce à ses contacts qu’elle parvient à trouver les futures animatrices : des personnes intégrées, parlant bien français, ayant elles aussi un large réseau dans leur communauté et l’envie de s’investir, intéressées par les thèmes et suffisamment disponibles… Il faut souvent s’y prendre à plusieurs reprises avant d’avoir une équipe de six à huit animatrices qui s’impliquent de manière régulière. Les différentes formations, les intervisions et les rencontres FemmesTische prennent une à deux demi-journées par mois aux animatrices. Le programme de formation leur permet de s’initier aux thèmes abordés et de renforer leurs compétences pour gérer les rencontres (réflexion sur leur rôle, techniques d’écoute et de communication, jeux de rôle, etc.). Les limites de leur champ d’action dans le cadre de FemmesTische sont posées clairement : aucun élément politique, religieux ou commercial ne peut être intégré aux rencontres.
Un autre challenge concerne les animatrices : celui de trouver les participantes. Dans certaines communautés africaines très axées sur la collectivité, le problème ne se pose pas et il s’agit plutôt de veiller à ne pas aller au-delà d’une douzaine de participantes pour que les échanges restent gérables. Dans d’autres cultures, les rencontres sont plus difficiles à mettre sur pied. Pourtant, aucune généralisation ne peut être faite et bien des paramètres autres que l’origine ont une influence sur l’essor des rencontres.
Les besoins du terrain et le réseau institutionnel
Ensemble, animatrices et responsables veillent à ce que les informations pratiques transmises lors des rencontres soient revues et adaptées en permanence avec les responsables des diverses institutions [1]. Il est arrivé que les animatrices participent à des projets particuliers. Ainsi, à Zurich, elles ont collaboré à la réalisation d’un film sur le mouvement produit par l’Office fédéral du sport. A Genève, elles ont pris part à l’élaboration du scénario d’un film sur le cancer du sein destiné aux femmes migrantes. Attentives aux besoins et aux questions des participantes, les animatrices assurent un retour documenté aux responsables de FemmesTische Suisse. Elles garantissent ainsi que la recherche de matériel et l’élaboration de nouveaux supports se fondent sur les besoins du terrain.
[1] A Genève par exemple, des représentant·e·s du Bureau de l’intégration, de la Fondation genevoise pour le dépistage du cancer du sein, du Planning familial, du Bureau de l’égalité et de celui des violences domestiques, ainsi que du Département de I’Instruction publique ont présenté leur institution et leur travail aux animatrices.
[2] FemmesTische est placé sous la responsabilité de la faîtière Formation des Parents CH, Avenue de Rumine 2, 1005 Lausanne. Email : . Site internet