Le mouvement comme allié thérapeutique
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Pour prévenir les risques cardio-vasculaires, diététiciennes et infirmières en médecine de famille collaborent dans une vision holistique de la promotion de l’activité physique. Une démarche interprofessionnelle pertinente.
Par Sybille Chanson, diététicienne, Vevey, et Cindy Lehmann, infirmière en médecine de la famille, Chexbres
Diabète ou prédiabète, diabète gestationnel, surpoids, obésité, hypercholestérolémie, dénutrition/malnutrition, trouble/inconfort digestif, troubles du comportement alimentaire : les diététiciennes sont amenées à rencontrer toutes sortes de problématiques nutritionnelles, influencées par de nombreux facteurs différents. Mais toutes partagent un dénominateur commun : l’activité physique ou le mouvement peut impacter de manière positive leur évolution.
La sédentarité représente un enjeu majeur de santé publique en Suisse. Selon l’Office fédéral de la statistique (2022), près d’un quart de la population adulte [1] ne pratique aucune activité physique régulière. Cette inactivité s’avère particulièrement marquée chez les personnes présentant des facteurs de risques cardio-vasculaires : en 2022, parmi les 27,4% d’hommes et 36,7% de femmes en situation d’obésité considérées comme insuffisamment actives physiquement [2], 40,1% souffrent d’hypertension et 14,8% de diabète [3],[4]. Les frais de traitement directs liés à l’inactivité physique étaient estimés, en 2013, à 2,4 milliards de francs par an [5]. Ces chiffres soulignent l’importance d’une approche coordonnée entre les différent·es professionnel·les de santé pour promouvoir le mouvement.
Si les patient·es sont souvent surpris·es d’aborder la question du mouvement lors d’une consultation diététique, l’éducation thérapeutique permet de mettre en lumière les bénéfices multiples de l’activité physique. Cette prise de conscience constitue souvent un levier puissant de motivation au changement.
Renforcer la prévention par l'interprofessionnalité
Tout comme les diététiciennes, les infirmières proposent l’activité physique en prévention primaire dans une prise en charge en médecine de premier recours. Dans le canton de Vaud, le projet MOCCA [6],[7] (Modèle organisationnel de consultation collaborative et ambulatoire) représente une innovation significative dans les soins de premier recours. En intégrant des infirmier·ères dans les cabinets de médecine générale, ce dispositif favorise une prise en charge interprofessionnelle des patient·es et renforce la prévention en santé.
Le rôle infirmier en médecine de famille s’articule autour de trois axes fondamentaux : l’évaluation clinique, la coordination des soins et la prévention et promotion de la santé. Cette dernière dimension peut être illustrée par l’exemple suivant : lors d’un contrôle de santé général, un médecin identifie chez un·e patient·e des facteurs de risques cardio-vasculaires. Il·elle propose alors une consultation avec l’infirmière pour effectuer un bilan approfondi des habitudes de vie. En s’appuyant sur des approches spécifiques comme l’entretien motivationnel, l’infirmière accompagne ensuite le·la patient·e dans l’adoption de nouveaux comportements de santé, visant ainsi à réduire les risques cardio-vasculaires identifiés.
Prenons un exemple concret, celui de la situation de Mme A, qui est en surpoids. Son bilan sanguin complet révèle un prédiabète et un taux de cholestérol surélevé. Le médecin lui propose alors un suivi infirmier pour gérer les facteurs de risques cardio-vasculaires.
Pendant la consultation, l’infirmière en médecine de famille effectue une anamnèse complète de ses habitudes de vie et de ses représentations en lien avec ses facteurs de risques cardio-vasculaires. La professionnelle constate que Mme A. est très sédentaire et ne maîtrise pas la composition de son assiette de manière optimale. L’infirmière propose alors à la patiente un suivi diététique afin de travailler plus spécifiquement sur l’alimentation. Ensemble (la patiente, la diététicienne et l’infirmière), elles vont travailler sur l’activité physique pour influencer les facteurs de risques cardio-vasculaires.
En parallèle, les connaissances de la patiente concernant le prédiabète — risques, évolution possible, physiopathologie, représentations — ont été listées. Une évaluation des bénéfices du mouvement sur ces différents éléments a ensuite complété le travail et encouragé Mme A. à se fixer un objectif en matière d’activité physique.
Anamnèse des expériences d'activité physique
Dans ce travail de soutien, il s’avère important pour les professionnel·les de se renseigner en amont sur les éventuelles expériences d’activité physique de la personne. A-t-elle déjà pratiqué un sport ? Quand ? À quelle fréquence ? Quel type de sport ? Pourquoi cela s’est-il terminé ? Ce questionnement permet d’orienter l’objectif. Il importe aussi de déterminer les leviers et les freins potentiels : quand est-ce possible, pour le·a patient·e, de bouger ? Avec qui ? Comment/quelle activité ? Où ? Avec quel budget ? Ces interrogations soutiennent la fixation d’objectifs spécifiques, mesurables, accessibles, réalisables, et temporellement définis (SMART). Cette méthode permet de mieux planifier et faciliter leur mise en pratique.
Mme A. s’est fixé un objectif de marche : « Je souhaite augmenter mon nombre de pas journaliers à 6’000. Pour cela, je prévois de faire un détour pour aller au travail le matin et j’ajouterai une balade en fin de journée, accompagnée de mon compagnon. Mon objectif de pas sera réévalué dans 3 semaines, lors de la prochaine consultation. » Dans cet exemple, la patiente identifie les moments propices dans sa journée pour faciliter le changement. Elle relève que son compagnon propose souvent de marcher, mais qu’elle refuse. Or, le fait d’être accompagnée est identifié par cette personne comme un levier pour maintenir l’objectif sur du long terme.
Les professionnel·les contribuent à l’évaluation de l’environnement ; est-il nécessaire de prévoir un transport pour la balade ? Est-il possible de marcher dans les environs de son domicile de manière agréable ? Anticiper des éléments qui pourraient entraver la mobilisation de la personne et trouver des solutions adéquates est essentiel pour soutenir la réalisation de l’objectif.
L’objectif posé par la patiente est réévalué à la consultation suivante afin de l’adapter s’il n’a pas pu être réalisé, ou alors de valoriser le changement. La consultation permet aussi de mettre en lumière « les bénéfices perçus du changement ». C’est le cas de Madame A., qui constate : « Je grignote moins le soir, car je suis moins à la maison, je me sens mieux moralement après la balade, je suis de moins en moins essoufflée lors de la marche, je passe un moment de qualité avec mon compagnon loin des enfants, je suis plus calme en arrivant au travail le matin, je passe moins de temps derrière les écrans, le soir, ma glycémie postprandiale diminue plus rapidement lorsque je marche. »
Orienter dans le réseau
Au-delà de l’accompagnement personnalisé, les professionnel·les jouent un rôle clé dans la mise en relation des patient·es avec les ressources locales. Il s’agit notamment des offres proposées par diabète Vaud, Unisanté (cours et vidéos) ou Pro Senectute. La pratique de l’activité physique peut également s’appuyer sur des initiatives locales telles que l’Urban Training, la Gym poussette ou les Slow Up. En complément de ces ressources communautaires, les outils numériques constituent aujourd’hui de précieux alliés : applications de santé, podomètres et montres connectées permettent aux patient·es de suivre leur progression et de maintenir leur motivation. Ces supports technologiques, lorsqu’ils sont adaptés aux besoins et aux compétences numériques de chacun·e, renforcent l’autonomie dans la gestion de sa santé.
L’accompagnement vers une activité physique régulière constitue un défi qui dépasse la simple prescription d’exercices. Les professionnel·les de santé, qu’ils·elles soient diététicien·nes ou infirmier·ères en médecine de famille, jouent un rôle essentiel dans ce processus. Leur expertise complémentaire, combinée à une approche centrée sur la personne et ses ressources, permet d’initier des changements durables dans les habitudes de vie. Cette collaboration interprofessionnelle illustre l’évolution des pratiques en soins de premier recours, où la promotion de la santé s’inscrit dans une vision holistique et personnalisée du soin.
[1] Poids corporel et activité physique en Suisse : fait et chiffres
[2] « Activité physique selon l’IMC, en 2022 », OFS – Enquête suisse sur la santé, état des données au 13.02.2024
[3] « Hypertension, taux de cholestérol trop élevé et diabète selon l’IMC, en 2022 », OFS – Enquête suisse sur la santé, état des données au 13.02.2024
[4] « Enquête suisse sur la santé 2022 – Surpoids et obésité ». OFS, 2024, 7 pages
[5] « Activité physique et santé ; Document de base ». Confédération suisse, 2013 ; la Confédération publiera des chiffres mis à jour au premier semestre 2025
[6] Vieillir 2023 : Projet pilote Mocca
Lire également :
- Dominik Hugi, «Un parcours pour redonner goût au mouvement», REISO, Revue d'information sociale, publié le 6 mai 2024
- Camille Greppin-Bécherraz, «Construire ensemble une culture interprofessionnelle?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 11 avril 2024
Cet article appartient au dossier Sport et mouvement
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Sybille Chanson et Cindy Lehmann, «Le mouvement comme allié thérapeutique», REISO, Revue d'information sociale, publié le 5 décembre 2024, https://www.reiso.org/document/13444