Les proches aidants, champions de l’organisation
Des entretiens et un sondage en ligne ont donné la parole aux proches aidant·e·s. Les tâches accomplies sont encore plus complexes que ce que l’on imagine. Surtout quand il faut remédier aux défaillances des systèmes sociaux et sanitaires.
Par Florence Ducrocq, chargée de recherche, sottas formative works, Fribourg
Lorsque la maladie ou le handicap frappe, chaque membre de la famille fait face à des défis complètement nouveaux. Il ne s’agit pas seulement de trouver un sens à cette nouvelle donne, mais aussi de trouver un nouveau rythme familial. Au début, les proches aidant·e·s n’imaginent pas encore l’ampleur de tout ce qu’il leur faudra connaître et apprendre.
Très rapidement, le ou la proche aidant·e doit apprendre à planifier, anticiper, chercher des financements et les aides auxquels il ou elle a droit, être concerté·e par le corps médical ou encore choisir les thérapies les plus adéquates. Ce travail est alourdi lorsque l’on est soi-même âgé·e, allophone, peu à l’aise avec les ordinateurs ou avec le jargon administratif.
Chaque tâche prise individuellement est plus ou moins réalisable, mais c’est l’accumulation qui entraîne d’un coup une surcharge générale, comme c’est le cas au début ou lors des différentes crises qui jalonnent l’évolution de la maladie. «On ne voit que des problèmes et aucune issue.» La recherche présentée ici traite justement du quotidien des proches aidant·e·s. La coordination est reconnue comme une tâche centrale de leur vie, parfois même un fardeau. Mais personne ne sait vraiment ce que cela comporte. Il y a une véritable méconnaissance du travail concret des proches aidant·e·s et de ses nombreuses casquettes.
Dans la perspective des proches aidant·e·s
L’enquête s’est principalement basée sur le point de vue des proches aidant·e·s [1]. Il s’agissait de leurs donner la parole pour déterminer l’ampleur de la tâche et les différents domaines avec lesquels ils ou elles jonglent. Leurs opinions ont été récoltées par des entretiens qualitatifs (n=25), des focus groupes mêlant quelques professionnel·le·s et un important sondage en ligne (n=1260).
Il en ressort que le poids de l’organisation varie énormément d’une personne à l’autre. Les capacités et les besoins de la personne malade, le temps à disposition, le réseau familial ou amical présent ou encore la charge émotionnelle influencent la difficulté de la tâche.
La coordination se passe au sein de trois milieux différents : dans le système de santé, entre le système de santé et la maison lorsqu’il faut par exemple recevoir des soins à domicile et, finalement, dans la sphère privée. Pour les professionnel·le·s, la tâche de coordination concerne les soins. Ils ou elles attendent une participation active des proches, avant tout pour des raisons d’efficience. Les offres de soins ne peuvent pas prendre en compte les besoins spécifiques de chaque situation et ce sont les proches qui doivent combler les trous. En cas de démence ou de handicap mental par exemple, ou lorsqu’un·e enfant est concerné·e, les proches doivent s’assurer que quelqu’un reste tout le temps au chevet du ou de la patiente. Il arrive aussi parfois que les proches jouent un rôle de médiateur·trice, débriefent des situations avec les patient·e·s et les aident à assimiler les informations, les bonnes et les mauvaises nouvelles ou les décisions à prendre. Les proches participent également activement à la transmission des informations entre les professionnel·le·s, parfois dans le même établissement.
La sollicitation des proches autour du système de santé n’est que la pointe de l’iceberg des tâches qui leur incombent. La plus grande partie de leurs talents d’organisation se déploie dans tous les autres domaines, dans l’ombre, derrière un écran opaque.
La planification au quotidien
Quelles sont donc ces tâches organisationnelles invisibles du quotidien ? Durant cette enquête, dresser une liste des tâches typiques de coordination s’est avéré laborieux. « Il y a tout le bureau, […], la facturation des frais de voyage, l’indemnité d’impuissance […], puis l’organisation des rendez-vous chez le médecin, […] chercher une nouvelle école parce que l’ancienne ferme. […] il faut téléphoner à nouveau avec le psychologue de l’école […] Et puis toute la logistique quand tu dois subitement partir avec un enfant comme ça : Qu’est-ce que je dois emporter avec moi ? Comment puis-je le transporter ? […] Et puis il y a les choses quotidiennes, comme préparer à manger, […] donner les médicaments, regarder ce que nous avons au programme aujourd’hui… »
Toutes les tâches invisibles recensées ont été classées en cinq groupes :
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Chaque membre de la famille a des tâches qui le concerne. Par exemple, les proches et la personne malade vont peut-être au travail ou à l’école et ont des loisirs. Il faut organiser les vacances de famille ou un camp de sport-handicap, prévoir une alimentation à part chaque jour, remplir les feuilles d’impôts de la personne malade, etc. Il ne s’agit ici que de tâches très concrètes. À cela s’ajoute toute l’écoute et la disponibilité émotionnelle pour offrir de la place à tous les membres de la famille et pour soutenir la personne malade dans son cheminement personnel. « C’est comme un second boulot. »
Dans un tout autre registre, les baisses de taux de travail des proches et des personnes malades exigent de repenser tout le budget de la famille, avec souvent une certaine dose de stress au moment où de nouvelles dépenses apparaissent.
Le risque de blocus émotionnel
Certain·e·s proches finissent parfois par atteindre une limite de ce qu’ils ou elles peuvent gérer ou supporter. En particulier quand la situation dure très longtemps et que le ou la proche accumule encore et toujours des frustrations, des obstacles ou des émotions fortes et qu’il ou elle ne peut jamais respirer.
Lorsque le ou la proche n’a plus la capacité d’agir et ne peut plus décider, on parle alors de blocus émotionnel. Il est donc aussi demandé par les proches d’avoir quelqu’un à qui parler et avec qui discuter de « la finitude de la vie, […] les relations non résolues au sein de la famille ». Les professionnel·le·s observent certaines fois que de l’aide est nécessaire. Mais les proches n’acceptent pas toujours par peur de son coût ou de devoir se battre pour être remboursé·e, par sentiment de devoir ou de culpabilité, par peur de perdre de l’autonomie ou de laisser quelqu’un venir dans sa sphère privée. Dans ces cas-là, le ou la proche est très vulnérable, d’autant plus lorsque la maladie est stigmatisée et crée des sentiments de honte.
Il existe beaucoup d’offres de soutien, mais peu avec une vision globale. Les fournisseur·euse·s de ces offres de coordination sont compétent·e·s et responsables dans leur domaine uniquement. La coopération interprofessionnelle est insuffisante. « On est seul. » Les offres sont aléatoires et inégalement réparties sur le territoire. Énormément d’informations arrivent par hasard, par des connaissances. « Bien que nous sommes suivis […], nous avons mis près de dix ans pour que quelqu’un nous parle de l’allocation pour impuissance. »
Parfois un·e professionnel·le prend en main une situation « parce que personne d’autre ne le fait » et organise une table ronde, fait un suivi par téléphone lors d’un retour à domicile, prend directement contact avec un·e autre spécialiste ou avec les psychologues de l’école. Mais ce soutien exceptionnel dépend du ou de la professionnelle qui déborde de son cahier des charges. Cette inégalité des chances est particulièrement difficile pour les personnes ayant peu de ressources ou peu de réseau.
L’insupportable perte de temps
Par affection pour la personne malade, les proches assument volontiers des efforts supplémentaires. Mais les efforts dits « inutiles » sont de trop. Il s’agit des défaillances dans le système, parce que les professionnel·le·s sont mal organisé·e·s ou parce que les domaines soins/social ou soins/scolaire sont fragmentés et dissociés les uns des autres. Les allers-retours, les doublons, les retards ou encore la communication en silo et la pêche à l’information engendrent beaucoup de frustration. Les méandres des remboursements des prestations reviennent régulièrement dans notre sondage en ligne. Le flou législatif engendre des différences de traitement d’une caisse à l’autre. Les aspects sociaux ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie, mais parfois par d’autres canaux qu’il faut connaître.
Les proches aidant·e·s ont besoin d’épargner du temps : en ne devant pas remplir plusieurs fois les mêmes formulaires ou en recevant des informations proactives des professionnel·le·s. « Vous le savez ! Dites-moi ! » Ils ont besoin d’un point de contact qui les aident à s’orienter, à penser à tout, en leur mentionnant l’existence de telle ou telle offre. Ils ont aussi besoin de dégager du temps : avec une aide pour les remplacer pour leurs propres obligations et pour s’occuper du reste de la famille.
Etre aidé·e pour mieux aider
Il semble évident que personne ne peut les remplacer. Quel·le professionnel·le peut être 24 heures sur 24 avec la personne malade ? Quel·le professionnel·le a une vue d’ensemble du fonctionnement de la famille et des agendas ou des émotions des un·e·s et des autres ? Quel·le professionnel·le peut être présent·e et impliqué·e sur le long terme ? C’est bien le ou la proche aidant·e qui a ce rôle central et c’est tant mieux, car malgré la complexité immense de ces tâches, aucun·e proche ne veut arrêter de coordonner. Au contraire ! La coordination est un moyen de garder de l’autonomie et une vue d’ensemble, et d’être informé·e de tout. De plus, ces personnes sont, pour la plupart, heureuses de s’occuper de leur être cher. Elles souhaitent être aidées pour mieux aider.
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[1] La recherche est financée par l’OFSP dans le cadre du Programme de promotion Proches aidants Projet no 17.000236
Rapport présenté dans cet article : Brügger S., Rime S., Sottas B., 2019: Angehörigenfreundliche Versorgungskoordination. Schlussbericht zu Handen des Bundesamtes für Gesundheit. Bourguillon: sottas formative works. (forthcoming)
Bibliographie sélective
Buthion V., Godé C. 2014: Les PA, quels rôles dans la coordination du parcours de soins des personnes malades? Journal de gestion et d’économie médicales, Vol. 32, 503-521.
Couturier Y., Salles M., Belzile l. 2012: Contribution des proches aidants à la coordination des services destinés aux personnes âgées en perte d’autonomie. Vie Soc., 4: 63-80.
Kislig G. 2018: Journal d’un proche aidant. Une réalité à votre portée. Bassins.
McDonald K. M., Schultz E., Albin L., Pineda N., Lonhart J., Sundaram V., Smith-Spangler C. 2010:. Care Coordination Measures Atlas Version 3. Prepared by Stanford University under subcontract to Battelle on Contract No. 290-04-0020. AHRQ Public.
Sottas B., Brügger S., Jaquier A., Brülhart D., Perler L. 2015: Les proches aidants face aux situations critiques en fin de vie. Rapport final. Bourguillon: sottas formative works.
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Florence Ducrocq, «Les proches aidants, champions de l’organisation», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 23 septembre 2019, https://www.reiso.org/document/4943