Prescrire du mouvement contre la sédentarité
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Dans le canton de Vaud, le projet «Pas à Pas+» démontre l’efficacité d’une collaboration interprofessionnelle santé-social pour remettre en mouvement des personnes sédentaires, avec des résultats probants après quatre ans.
Par Camille Greppin-Bécherraz, adjointe scientifique, Haute école de la santé Vaud (HESAV I HES-SO), Lausanne [1]
Lancé en 2019, le projet « Pas à Pas+ » (PAP+) s’est donné pour objectif de favoriser la reprise de l’activité physique chez les personnes sédentaires, atteintes ou à risque de maladies non-transmissibles dans le canton de Vaud [2]. Pour y parvenir, un modèle d’intervention novateur, centré sur la collaboration interprofessionnelle et l’interface entre le domaine des soins et la communauté a été mis en place.
Le programme était accessible soit par délégation de patient·es par des professionnel·les de santé de premier recours (médecins généralistes ou infirmier·ères) ou de la santé mentale, soit par orientation par des acteurs sociaux. Les bénéficiaires étaient accompagné·es par des spécialistes en activité physique adaptée (APA) qui leur proposaient des conseils personnalisés, s’appuyant sur l’entretien motivationnel et une approche bio-psycho-sociale. Ensuite, les bénéficiaires étaient orienté·es vers des activités physiques locales, adaptées à leurs besoins et préférences (figure 1).
L’intervention, qui s’étendait sur environ six mois, alternait entre entretiens individuels, appels de suivi et accompagnement lors des activités physiques. Parallèlement, et afin de soutenir les concepts-phares du projet, un travail de sensibilisation et de renforcement des compétences des professionnel·les de la santé et du social sur l’importance de l’activité physique a été mené par l’équipe du projet.
Les bénéficiaires de PAP+, majoritairement des femmes (63%) âgées en moyenne de 48 ans, présentaient souvent des antécédents médicaux (principalement métabolique et psychologique) et résidaient en majorité dans la région lausannoise.
Amélioration significative de l’activité physique
Quatre années après son lancement, l’évaluation externe du projet PAP+ a mis en exergue des résultats positifs pour les bénéficiaires, qui passaient moins de temps assis·es. Ces personnes ont aussi affiché un meilleur niveau d’activité physique et une motivation accrue.
Plus précisément, à la fin de leur prise en charge, 81,4% des 97 bénéficiaires ayant répondu au questionnaire de satisfaction ont déclaré avoir intégré une activité physique dans leur quotidien, 94,3% ont compris l’importance de l’activité physique, et 93,6% ont signalé une augmentation générale de leur activité physique.
Les résultats de l’évaluation ont montré des améliorations significatives entre le début et la fin du programme PAP+. Parmi ces progressions, mentionnons une réduction du temps passé assis (de 9,5 à 7,0 heures par jour), une augmentation du niveau d’activité physique (de 462 à 1’122 minutes équivalent métabolique par semaine), une motivation accrue (de 7/10 à 8/10), une confiance renforcée dans leur capacité à maintenir cette activité (de 14/25 à 16/25), et une meilleure disposition à adopter un changement de comportement (de 3/5 à 4/5).
« [les avantages de Pas à Pas] c’est de rester en bonne santé, socialiser […] moi, je ne vois que du positif […] pouvoir continuer une activité et aussi de rencontrer du monde » (femme, au bénéfice de l’assurance d’invalidité (AI), 50-60 ans)
L’analyse a démontré que les bénéficiaires âgé·es de moins de 49,2 ans et délégué·es par un·e médecin généraliste ou un·e autre professionnel·le de la santé ont connu une plus grande augmentation de leur sentiment d’auto-efficacité (de 13/25 à 16/25) après la prise en charge PAP+ que les bénéficiaires plus âgé·es.
Le rôle central de la collaboration interprofessionnelle
Du côté des professionnel·les, l’évaluation finale de PAP+ a montré une augmentation des collaborations interprofessionnelles. Une dizaine de collaborations ont en effet été établies au cours du projet, tant avec des professionnel·les du domaine de la psychiatrie communautaire que du secteur social. Par ailleurs, le nombre de médecins généralistes et d’autres professionnel·les de la santé impliqué·es a considérablement augmenté, passant de 132 en 2019 à 498 en 2023. Les professionnel·les interrogé·es ont souligné l’avantage de pouvoir orienter les patient·es vers des spécialistes, c’est-à-dire les spécialistes en APA de PAP+, qui « savent quelles précautions prendre avec des personnes potentiellement en mauvaise santé » (selon un médecin de premier recours), ainsi que la rapidité et l’efficacité de la prise en charge.
Le développement de la collaboration interprofessionnelle entre les spécialistes en APA de PAP+ et les autres professionnel·les a représenté un défi majeur, qui reste par ailleurs présent. Si la collaboration entre médecins et spécialistes en APA a été facilitée par la nature même de PAP+, où la prescription fait partie intégrante de la pratique médicale, l’intégration de la délégation et de l’orientation vers PAP+ par les autres professionnel·les implique un changement significatif dans leurs pratiques professionnelles respectives.
En effet, même si en fin de projet, pas moins de cinquante professionnel·les du secteur social participaient à la délégation vers PAP+, l’établissement d’une collaboration interprofessionnelle avec les domaines de la psychiatrie et du social s’est avéré plus complexe. Deux explications principales ont été identifiées : d’une part, la perception qu’ont ces professionnel·les quant à l’activité physique et leur rôle dans sa promotion, et d’autre part, leur culture professionnelle.
À ce sujet, l’analyse des besoins des travailleurs et travailleuses sociales a révélé que, bien que la promotion de l’activité physique soit perçue comme importante, plusieurs obstacles demeurent. Parmi ceux-ci figurent la tendance à voir l’activité physique principalement comme du sport, ainsi que la faible priorité accordée à ce sujet par rapport aux autres problématiques des bénéficiaires. Les sentiments de manquer de connaissances ou de compétences sur les bienfaits de l’activité physique, et de ne pas être légitime pour aborder cette thématique ont également émergé.
Par ailleurs, il est crucial de prendre en compte la culture professionnelle. Chaque métier possède sa propre culture, avec des valeurs et une identité distinctes. L’implémentation d’une nouvelle pratique nécessite d’intégrer ces spécificités, car la collaboration interprofessionnelle exige non seulement un soutien institutionnel, mais aussi le partage de valeurs communes entre les professionnel·les concerné·es. L’intégration de l’environnement de travail est un facteur clé pour la réussite de cette implémentation, ce qui souligne l’importance d’inclure ces deux dimensions dans la stratégie de mise en place d’une collaboration interprofessionnelle santé-social.
Trois recommandations
Les bénéfices potentiels de la prescription d’activité physique pour la santé des patient·es sont indéniables. Cependant, les professionnel·les de santé et du social font face à des obstacles qui limitent la généralisation de cette pratique, tels que l’absence de remboursement ou encore les questions de responsabilités. Les résultats de l’évaluation de PAP+ ouvrent la voie à de nouvelles perspectives et soulignent l’importance de développer des outils et des formations adaptés pour accompagner les professionnel·les dans cette démarche et pérenniser ce dispositif. De plus, comme le soulignent des expériences internationales, le succès de ce genre d’initiatives repose également sur un soutien politique fort, tant au niveau cantonal que national (Berendsen et al., 2015 ; Ackermann et al., 2006).
À la suite de l’évaluation de PAP+, trois recommandations ont été formulées. La première recommandation concerne l’application du principe de prescription de l’activité physique par les professionnel·les de santé et du social, laquelle doit être soutenue par les politiques sanitaires au niveau cantonal, voire national. Les politiques de santé doivent en effet reconnaître et valoriser le rôle des professionnel·les dans la prescription d’activité physique. En offrant des formations continues adaptées, en facilitant l’accès à des réseaux de professionnel·les spécialisé·es du domaine de l’activité physique et en mettant en place des outils d’évaluation, les politiques peuvent soutenir le développement de nouvelles compétences et l’amélioration de la qualité et de la continuité des soins.
La deuxième recommandation porte sur la nécessité globale, co-construite avec les professionnel·les et soutenue par les décideur·ses politiques, qu’implique l’implémentation d’une nouvelle pratique comme la prescription d’activité physique. Cette approche hybride, combinant une approche top-down (soutien institutionnel) et bottom-up (engagement des professionnel·les), crée un environnement propice à la collaboration interprofessionnelle (McDermott el al., 2015). Le soutien institutionnel offre une base solide et un engagement clair, tandis que l’adhésion des professionnel·les renforce l’efficacité et l’impact de la collaboration sur le terrain.
Enfin, la troisième recommandation est que le développement de la collaboration interprofessionnelle exige une approche proactive et structurée pour être efficace. Organiser des sessions de formation interprofessionnelles permet aux différent·es professionnel·les impliqué·es d’apprendre les uns des autres, de partager leurs connaissances et de comprendre les rôles et compétences spécifiques à chaque domaine. En favorisant des échanges réguliers, les professionnel·les peuvent partager leurs expériences, discuter des meilleures pratiques en matière de reprise d’activité physique, et renforcer leur compréhension de leur rôle dans la délégation et l’orientation vers PAP+.
En résumé, PAP+ occupe désormais une position centrale et essentielle dans le canton de Vaud, agissant comme un véritable point de convergence entre les recommandations relatives à l’activité physique et leur mise en œuvre concrète dans la vie quotidienne des individus. Grâce à son rôle d’interface, il permet de transformer les conseils en actions, en facilitant l’intégration de l’activité physique.
Aujourd’hui, les professionnel·les de PAP+ continuent de jouer un rôle fondamental dans l’accompagnement des bénéficiaires sur six sites répartis dans le canton. Les personnes sont guidées dans la reprise d’une activité physique adaptée à leurs besoins spécifiques, s’inscrivant dans les services de prévention en matière d’activité physique proposées à Unisanté.
Références bibliographiques
- Ackermann, R. T., Marrero, D. G., Hicks, K. A., Hoerger, T. J., Sorensen, S., Zhang, P., ... & Herman, W. H. (2006). An evaluation of cost sharing to finance a diet and physical activity intervention to prevent diabetes. Diabetes care, 29(6), 1237-1241.
- Beauverd, L., Schwab, L., Schramm, I., Zollinger, M., & Spring, J., (2023). Modèle d’intervention PAP+ [non publié]. Unisanté, Lausanne
- Berendsen, B. A., Kremers, S. P., Savelberg, H. H., Schaper, N. C., & Hendriks, M. R. (2015). The implementation and sustainability of a combined lifestyle intervention in primary care: mixed method process evaluation. BMC family practice, 16, 1-12.
- Greppin-Bécherraz, C., Ribeiro, C., Schoeb, V., Wirz, M., Frey, S., & Haas, M. (2023). Évaluation du projet « Pas à Pas+ ».
- McDermott, A. M., Hamel, L. M., Steel, D., Flood, P. C., & Mkee, L. (2015). Hybrid healthcare governance for improvement? Combining top‐down and bottom‐up approaches to public sector regulation. Public Administration, 93(2), 324-344.
[1] Ont participé à l’évaluation et au rapport d’évaluation sur lequel se base cet article : Sara Frey, assistante de recherche, et Michelle Haas, collaboratrice scientifique, Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften ZHAW, Winterthur, Carla Ribeiro, adjointe scientifique, HESAV, HES-SO, Lausanne, ainsi que Markus Wirz, responsable de la recherche et du développement, Institut de physiothérapie, ZHAW.
[2] Le projet Pas à Pas+ est porté par Unisanté, et financé, entre 2019 et 2023, par Promotion Santé Suisse (voir la page du projet sur le site de PPS ). A l’issue de cette phase, il a évolué en une forme légèrement différente. Cet article se concentre sur la phase 2019-2023.
Lire également :
- Sybille Chanson et Cindy Lehmann, «Le mouvement comme allié thérapeutique», REISO, Revue d'information sociale, publié le 5 décembre 2024
- Dominik Hugi, «Un parcours pour redonner goût au mouvement», REISO, Revue d'information sociale, publié le 6 mai 2024
- Camille Greppin-Bécherraz, «Construire ensemble une culture interprofessionnelle?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 11 avril 2024
Cet article appartient au dossier Sport et mouvement
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Camille Greppin-Bécherraz, «Prescrire du mouvement contre la sédentarité», REISO, Revue d'information sociale, publié le 16 décembre 2024, https://www.reiso.org/document/13479